Editeur du mois : Aymeric Bemer, ingénieur et enseignant

La logique de bon sens du réemploi

Lors de réunions avec des partenaires, ou à l’occasion de prises de parole en public, j’ai le plaisir d’introduire le recours à la logique du réemploi au travers d’une contextualisation familière. Imaginons-nous en vacances avec des amis, dans notre région préférée, dans une ambiance de lâché prise et de bonne humeur partagée par tous vos convives. En bons vivants, nous avons savouré chaque moment des jours précédents, sans restrictions ni concessions, dans une abondance assumée, rythmée d’une ivresse partagée. La projection de la fin du voyage est lointaine, mieux vaux profiter du moment présent et nous ferons les comptes au moment venu. Départ prévu dimanche soir, il nous reste encore un bar bien rempli, quoique les meilleures bouteilles ont déjà été vidées, d’ailleurs elles auront gravé de beaux souvenirs, d’après les photos prises au moment des festivités. La veille du départ, pour symboliser la fin des vacances, nous marquons le coup sans modération. Vient le dimanche matin, jour du départ. Un groupe s’organise pour le rangement et l’organisation du départ. Vous êtes chargé de préparer un repas, il vous tient à cœur de relever ce défi et de ravir vos convives. En ouvrant le réfrigérateur, par égarement, vous vous rendez compte que les abus de la veille vous ont poussé à entamer le plat prévu du jour. Vous avez deux choix devant vous :

  • Option 1 – Prendre votre auto au plus vite pour rejoindre l’unique magasin le plus proche, à 2h de route, sans connaitre les stocks disponibles et le choix de produits. Et ainsi s’engager dans une « logique de dépendance », en adoptant la croyance d’un tiers offrant un service répondant à mes besoins à tout moment.
  • Option 2 – Se laisser l’occasion d’innover en composant avec les restes disponibles dans le réfrigérateur, qui est pour l’occasion un gisement de produits locaux de première qualité. Renvoyant à la « logique effectuale », qui consiste, à partir des moyens dont l’on dispose, à rechercher les effets que ces moyens peuvent permettre d’atteindre.

En réalité, le magasin s’est fait dévaliser par les touristes de la saison, sur le départ également, lui donnant par ailleurs l’opportunité d’augmenter ses prix en cette période, en proposant une gamme de produits de moindre qualité au prix fort. Recourir à la logique de réemploi et d’innovation de l’acte de réutilisation nous renvoie à une première étape de sourcing, de connaissance des produits disponibles et de leurs qualités. Si vous avez la sensibilité et l’ouverture d’esprit de proposer une solution de réemploi, votre expérience dans l’exercice et votre créativité vous permettront de converger vers la possibilité de composer avec les éléments disponibles. Dès lors, vous proposerez une solution unique et personnalisée. C’est en cela que consiste le recours au réemploi.

 

Nous pouvons contextualiser le réemploi dans le secteur de la construction. Il faut encourager la démarche d’économie circulaire, de matériaux bas carbone et de réemploi, qui apparaissent comme une solution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Une nouvelle filière se structure et se développe, proposant de multiples services d’aide à la conception et réalisation afin de valoriser et de mettre à disposition des matériaux de seconde main. Ce gisement de matières passe par une étape de sourcing quantitatif et qualitatif des produits issus de la déconstruction et du stockage. Il peut s’agir de bâtiments en voie de rénovation ou déconstruction. Par exemple, un hôtel doit changer son aménagement intérieur tous les 7 ans en moyenne, donc de nombreux mètres carrés de moquette ayant une durée de vie de 20 à 30 ans pourraient être réemployés. Une démarche que l’on retrouve pour une multitude de produits : radiateurs en fonte, menuiseries, huisseries, faux plafonds, cloisons, et même des éléments de structures métalliques ou minérales. Une option supplémentaire vise à limiter le rejet de carbone et veiller à son stockage. La construction est un moyen efficace de stocker le volume carbone d’un produit ayant absorbé du CO2 durant sa croissance – on parle de stockage biogénique – et donc de se servir du secteur du bâtiment comme « puits de carbone ». L’architecture se réinvente comme support de compensation carbone. Cette analyse n’a de sens que depuis la mise à disposition du poids carbone de chaque matériau, depuis qu’on a pu lui donner une unité. A ce jour, le recours au réemploi présente différents freins comme le volet assuranciel et la capacité d’un bureau de contrôle à accompagner les acteurs dans cette voie, ainsi que du savoir-faire dans la mise œuvre en s’assurant du stockage des matériaux in situ et du phasage.

 

Edito rédigé par : Aymeric BEMER, ingénieur et enseignant spécialisé en énergie et environnement est chargé d’optimiser la performance environnementale des projets de l’agence d’architecture Patriarche.

Mai 2023