Editeur du mois, Février 2022 – ASBL Ressources

 

 

 

Réemploi de matériaux de construction : Pousser la demande pour structurer l’offre ?

La fédération RESSOURCES regroupe 66 entreprises sociales et circulaires situées en Région Bruxelloise et en Région Wallonne et développant des activités de collecte, de tri, de préparation au réemploi et de réemploi de biens et de matières.

Les entreprises sociales ont identifié depuis de nombreuses années les matériaux de construction comme une source potentielle de développement de leurs activités.

RESSOURCES distingue trois grandes activités autour du réemploi des matériaux de construction :

– les activités de déconstruction sélective et de collecte sur sites

– les activités de préparation au réemploi et vente de matériaux de réemploi

– les activités de remanufacturing et de remise en œuvre des matériaux de réemploi

Plusieurs entreprises d’économie sociale, membres de RESSOURCES, développent une ou plusieurs de ces activités.

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La récupération de matériaux au travers d’opérations de déconstruction sélective et de collecte existe depuis de nombreuses années dans le secteur de l’économie sociale. A titre d’exemple, nous pouvons citer les activités de BatiTerre, Retrival et Retrimeuse, trois entreprises sociales et circulaires membres de la Fédération RESSOURCES. Les activités développées par ces entreprises permettent d’extraire une quantité importante de matériaux de construction en bon état et parfaitement réutilisable. Historiquement, Retrival et Retrimeuse (aujourd’hui Retritech) ont été créées à l’initiative d’Arcelor pour le démantèlement des outils industriels des vallées de la Sambre et de la Meuse. Ces activités de curage permettent de trier à la source les matières et les éléments de construction déconstruits en vue de leur meilleure valorisation. Depuis 2020, BatiTerre, a également lancé son activité de récupération et de valorisation de matériaux en Région Bruxelloise. Sur les chantiers professionnels et particuliers, l’entreprise récupère les matériaux au travers d’opérations de démontage sélectif et de collecte.

Les opérations de déconstruction ont, comme les opérations de démolition, un coût. C’est pourquoi, la déconstruction sélective doit être une opération payante, ou tout du moins défrayée. Rares sont les matériaux récupérés qui offrent une valeur de revente suffisante pour couvrir les coûts de déconstruction.

La grande majorité des éléments/matières déconstruits sont envoyés dans des filières de recyclage. De nombreux matériaux peuvent être récupérés pour être réemployés ultérieurement, c’est le cas notamment pour les pièces ou les panneaux de bois, les sanitaires, les luminaires, les pierres nobles, les briques, les cloisons ou encore les panneaux isolants.

BatiTerre et Retrival sont aussi actives dans les activités de préparation au réemploi et de vente de matériaux de construction. Cependant, d’autres acteurs proposent aussi ces services. L’exemple des matériauthèques qui commencent à voir le jour en Belgique fonctionnent différemment. Elles reçoivent ou collectent les matériaux et s’occupent uniquement de la vente de ceux-ci, avec éventuellement une petite intervention de nettoyage et de reconditionnement.

Les opérations de déconstruction sont prises en charge en amont de leurs activités, imputant les coûts qui y sont liés à un tiers, souvent l’œuvre des particuliers ou des petits artisans qui font don de ces matériaux. Plusieurs Ressourceries® ont développé des espaces « matériauthèques » en Région Wallonne, proposant à la vente des matériaux de construction collectés chez les particuliers. Ces matériauthèques sont principalement destinées aux particuliers.

La remise en œuvre et le remanufacturing sont actuellement des activités en plein développement, notamment dans les entreprises sociales. BatiTerre propose des services de remise en œuvre de ses matériaux dans des projets de construction qui maximisent la présence de matériaux de réemploi. La Ressourcerie namuroise fabrique des panneaux en lamellé/collé et des meubles à partir de bois récupéré sur du mobilier non réutilisable ou à partir de chutes de production et propose des services d’aménagement. Aid Val de Senne produit du mobilier et aménage des espaces intérieurs à partir de matériaux de réemploi…

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Cependant, ce n’est pas parce qu’un matériau est bien déconstruit et prêt à servir à nouveau qu’il trouve facilement acheteur. Encore aujourd’hui, de nombreux freins (normatifs, législatifs, logistiques, fiscaux, techniques, économiques etc.) rendent difficile la vente et la remise en œuvre de ces matériaux récupérés.

Si des exemples de réussite d’intégration de matériaux de réemploi in situ ou à flux tendu voient de plus en plus le jour, le modèle reposant sur le stockage physique des matériaux de réemploi en vue d’une vente ultérieure reste difficilement rentable. Si des initiatives de ce type existent comme CornerMat[i], BatiTerre[ii] ou Rotor DC[iii], ce modèle est certainement à développer afin d’augmenter l’attrait et la facilité d’approvisionnement en matériaux de réemploi.

 

Faciliter l’utilisation des matériaux de construction de réemploi

Lever les obstacles

Un des plus grands enjeux pour augmenter significativement l’utilisation de matériaux de construction de réemploi sera d’en faciliter la mise en œuvre, en levant les freins identifiés (de nombreuses analyses existent à ce sujet, voir par exemple le rapport d’étude de l’ICEDD pour le compte du CFDD/FRDO[iv]). Actuellement, la réutilisation fonctionne assez bien pour des matériaux particuliers comme ceux présentant une valeur patrimoniale importante, mais le vrai défi est de pouvoir réintroduire une plus grande quantité d’éléments de réemploi dans les constructions neuves et les rénovations, dans une logique d’économie circulaire ambitieuse. On estime qu’aujourd’hui seulement 1% des matériaux utilisés dans les chantiers de construction ou de rénovation proviennent de filières de réemploi[v]. Retrival a relevé le défi et a réalisé les parachèvements de ses 300 m² de bureaux avec 80% de matériaux de réemploi.

Ceci démontre qu’une grande marge de progression est possible.

Travailler sur la demande

En Belgique, beaucoup d’efforts sont déployés pour augmenter l’offre de matériaux de construction de réemploi. Le travail effectué par les Régions, et notamment par la Région Bruxelloise, s’est principalement concentré sur la dynamique de l’offre.

La déconstruction sélective est, et sera à l’avenir, de plus en plus incontournable. De nombreux outils et textes législatifs sont développés en ce sens. Les inventaires « réemploi » prennent une importance grandissante dans les discussions et seront sans doute bientôt obligatoires pour la plupart des chantiers de démolition ou de rénovation. Le focus est donc mis sur la récupération des matériaux plutôt que la mise en recyclage ou la valorisation énergétique. Même si des améliorations doivent encore être mises en place, comme des objectifs ambitieux de préservation des matériaux dans un but distinct de réemploi, les lignes se tracent actuellement en ce sens.

Par contre, il n’existe pas encore à ce jour de réels outils qui permettent de renforcer la demande. Il n’est, par exemple, pas intéressant fiscalement d’intégrer des matériaux de réemploi dans un projet. On se base donc sur la volonté propre des maîtres d’ouvrage, l’unique incitant étant d’ordre moral, éthique ou marketing.

Si nous regardons du côté de la France par exemple, les principes mis en œuvre et les résultats sont assez différents. S’il semble que l’offre est mieux structurée que la demande en France[vi], de sérieux leviers sont mis en place pour augmenter la mise en œuvre des matériaux de construction de réemploi[vii]. Aujourd’hui, le code de l’environnement impose aux acheteurs publics de veiller au recours à des matériaux de de réemploi lors des opérations de construction ou de rénovation[viii]. Aussi, le mode de calcul de l’impact carbone des matériaux utilisés dans un projet favorise l’utilisation de matériaux de réemploi en leur appliquant une valeur nulle[ix]. La prise en compte des coûts environnementaux évités facilite l’intégration de ces matériaux. Considérer la diminution de l’empreinte ressource et carbone d’un projet par le choix du réemploi par rapport au neuf est dans ce cas un facteur incitatif significatif. Ceci nécessite aussi une simplification administrative pour accepter que certains types de matériaux de réemploi partagent les mêmes caractéristiques que leurs équivalents neufs. Certes le travail est important, mais les résultats sont convaincants.

D’autre part, des initiatives pour structurer la demande sont en cours, notamment la plateforme booster du réemploi[x] dont l’objectif est de maximiser le réemploi.

Dans les faits, nous constatons que de nombreux particuliers et entreprises françaises passent régulièrement la frontière belge pour se fournir en matériaux de réemploi, ceci s’explique probablement par une structuration trop faible de l’offre en France, mais peut-être aussi par des différences de tarification entre les deux pays.

Bien sûr, la structuration de la demande nécessite d’autres efforts, notamment dans la sensibilisation et la formation des architectes, des maîtres d’ouvrage publics et privés, des entreprises de construction… mais si l’incitation à utiliser les matériaux de réemploi est sérieuse, les actions pourraient sans doute se concrétiser plus rapidement.

Fédérer l’offre pour la renforcer

Outre les difficultés liées au coût de stockage des matériaux récupérés et reconditionnés, le manque de centralisation de l’information sur les disponibilités de ces matériaux pose de vrais problèmes pour activer la demande. Les auteurs de projets ou les entrepreneurs ne peuvent actuellement pas trouver facilement d’informations sur les gisements disponibles. Les recherches nécessitent aujourd’hui un temps important pour la prise de contacts avec les différents négociants, sans garantie de trouver le gisement souhaité. Cette remarque est valable aussi bien pour l’anticipation (stade avant-projet) qu’au moment de la réalisation (stade projet), quel que soit le principe retenu pour favoriser l’intégration des matériaux dans un marché public par exemple[xi]. Il faut toutefois noter que des outils performants existent pour faciliter la recherche de matériaux de réemploi, notamment Opalis[xii], développé par Rotor.

Il nous semble donc plus que nécessaire de poser concrètement les bases d’une collaboration effective entre les différents acteurs de la construction afin que tout le monde participe et gagne au jeu du réemploi. L’utilisation d’une plateforme d’e-commerce rassemblant des offres provenant de plusieurs vendeurs et de plusieurs sites physiques permettrait certainement de structurer la filière du réemploi en fédérant et en donnant une visibilité élargie à l’ensemble des matériaux disponibles. Systématiser la déconstruction sélective permettrait de récupérer une quantité importante de matériaux de construction qui pourraient trouver preneur avec une bonne publicité. Si l’opération a un coût financier inévitable, elle permettra de remettre sur le marché local des matériaux dont l’utilisation engendrera de véritables gains économiques et environnementaux.

Pour ce faire, le secteur doit se mettre au travail afin de réussir le défi de la circularité des matériaux de construction. Si des espaces de stockage sont disponibles, les entreprises pourraient alors déposer leur « fin de palettes », les différents matériaux récupérés sur les chantiers de rénovation ou de déconstruction, gagnant sur le coût évité de l’élimination et sur l’achalandage de matériauthèques dans lesquelles ils pourront se fournir à prix intéressant en matériaux de réemploi. Plusieurs initiatives de ce type existent actuellement, mais elles pêchent par leur nombre et le manque de liens entre elles. Citons à nouveau, Rotor DC ou Cornermat qui, par des collaborations régulières entre elles et avec d’autres acteurs du secteur, posent les premiers jalons de cette piste.

Cette structuration de l’offre ne pourra se faire qu’à partir du moment où les acteurs de la construction seront en capacité.

 

Auteur de l’article : ASBL Ressources

 

Sources :

[i] https://www.cornermat.be/

[ii] https://batiterre.be/boutique/

[iii] https://rotordc.com/

[iv] https://www.frdo-cfdd.be/sites/default/files/content/download/files/ecocircons_rapportfinal_icedd_20201106_fr.pdf

[v] https://www.nweurope.eu/projects/project-search/fcrbe-facilitating-the-circulation-of-reclaimed-building-elements-in-northwestern-europe/

[vi] https://www.ifpeb.fr/2020/09/18/lancement-booster-reemploi-mipim-2020/

[vii] https://site.cycle-up.fr/notre-univers-du-reemploi/reglementations/les-evolutions-reglementaires-et-le-reemploi/

[viii]https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074220/LEGISCTA000031054865/#LEGISCTA000031054871

[ix]Arrêté du 4 août 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine et portant approbation de la méthode de calcul prévue à l’article R. 172-6 du code de la construction et de l’habitation – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

[x] https://boosterdureemploi.immo/le-projet/

[xi] https://www.nweurope.eu/media/16539/wpt3_d_2_2_strategies-de-prescription_integrer-le-re-emploi-2022-01-27.pdf

[xii]  https://opalis.eu/