Retrival : la construction circulaire de leurs nouveaux bureaux, 80% de matériaux ont été réemployés !

Un chiffre, 80% : voilà le pourcentage estimé par Retrival pour le taux de matériaux réemployés dans l’aménagement de leurs nouveaux bureaux situés dans un zoning à Charleroi. Zoning qui a pour ambition de réunir et de regrouper une série d’activités liées à la gestion et la revalorisation des déchets. Un nombre non négligeable même pour une entreprise qui a fait du réemploi son business model et sa vision d’entreprise. Suite à ces récentes déclarations de la coopérative à finalité sociale, la Plateforme Réemploi a rencontré Damien Verraver, directeur et gérant de la SCRL Retrival.

Contexte global :

Retrival travaille avec différents types d’entreprises et les pouvoirs publics pour tous types de travaux liés à l’environnement nécessitant beaucoup de main d’œuvre. La collecte, le tri, le recyclage et le réemploi sont les activités phares de Retrival qui propose aussi, depuis 6 ans, un service de déconstruction sélective sur chantier. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Damien : Retrival a été créé en 1997 et sa création émane du démantèlement des installations industrielles liées à la sidérurgie dans le bassin Hennuyer (Hainaut) dans le cadre des activités de l’entreprise Cockerill-Sambre de l’époque Retrival a toujours fait du démantèlement et de la déconstruction d’installations industrielles. C’est seulement par la suite, que nous avons développé une certaine expertise plus générale sur le démantèlement et nous avons très vite glissé vers la déconstruction sélective. Nous nous sommes orientés vers cette dernière activité car il y avait une demande grandissante autant à Bruxelles qu’en Wallonie mais en France aussi, où nous sommes également actifs.

Alexia : Vous travaillez aussi en France ?

Damien : Ça nous arrive de travailler sur des chantiers en France, oui. C’est souvent pour de très gros chantiers de démantèlement d’installations industrielles. Par exemple, nous avons travaillé sur une centrale électrique au charbon pour EDF du côté de Paris où il fallait démonter toute une partie des installations avant qu’elles puissent être dynamitées ou démontées à la grue. La même chose pour une raffinerie à Strasbourg et à Rouen.

Un point de départ pour le réemploi

Alexia : Quel a été le point de départ du réemploi pour vous ?

Damien : Il y a 5 ans. Lorsque nous avons réalisé que la déconstruction sélective allait pouvoir faire décoller le réemploi. Nous l’avons réalisé lors d’un gros chantier pour la Fédération Wallonie-Bruxelles à LLN, un chantier de transformation de bureaux en une école.

A la visite, on s’est rendu compte qu’il y avait un potentiel de réemploi important, mais on ne l’avait jamais fait à une telle échelle. D’habitude sur un chantier traditionnel, nous calculons notre coût et puis on rajoute une marge de frais (frais de structure etc.), là nous avons fait l’inverse : nous avons calculé le coût et puis nous l’avons baissé de 15%, coût gagné sur le réemploi de certains matériaux. En ayant misé 15% en moins par rapport aux prix habituels, nous avons remporté le marché.

Nous avons réussi à récupérer et à réemployer 27% de tous les matériaux déconstruits et tout ça est parti directement sur d’autres chantiers pour y être remis en œuvre. D’ailleurs, plusieurs de ces autres chantiers ont été primés chantiers Be Circular On est bien tombés parce qu’il y avait justement la concordance sur la quantité, la qualité et le timing donc il y a pas mal de choses qui ont pu repartir directement.

Alexia : Diriez-vous que cette concordance entre ces trois critères est le frein principal au réemploi ?

Damien : Oui, un projet n’est pas un autre et la difficulté du réemploi réside entre autres dans cette concordance de critères quantité, qualité et temps. Ensuite, il y a encore la frilosité de toute une partie des maîtres d’ouvrage, des entrepreneurs, des architectes et autres parties prenantes du secteur à travailler avec des matériaux de réemploi, en tout cas en Région bruxelloise et en Wallonie. Nous essayons de vulgariser le réemploi et de capitaliser les expériences, en faisant des études, des parutions, des séminaires, des tables rondes et autres initiatives diverses et variées.

Cependant, il n’y a aussi que très peu de gros chantiers d’envergure avec du réemploi poly-matériaux. Nous nous retrouvons souvent avec un chantier où le bâtiment existant a été conservé, un autre où les briques ont été conservées, ensuite un autre où 100 mètres carrés de laine de roche ont été conservés mais très peu de chantier multi-matières.

Donc dans cette optique là on s’est dit plutôt que faire encore un énième bouquin et une énième parution, nous allions prendre une autre approche et qui est un peu commune à toutes nos initiatives, nous nous sommes dirigés dans le pragmatique et dans le concret.

Retour d’expérience : un emménagement circulaire

Alexia : Et c’est donc là que l’aventure commence ? pour la mise en place de vos nouveaux locaux à base de matériaux de réemploi ?

Damien : En effet, pendant 1 an, on a conservé tous les matériaux qui nous paraissaient intéressants sur les différents chantiers de déconstruction que Retrival avait. Nous avons à disposition des espaces de stockage, nous ne savions pas encore ce qu’on allait réutiliser, ce qu’on allait en faire mais on a arrêté l’architecte et l’entreprise générale avec laquelle on travaillait et on leur a dit :  au niveau des bureaux, remettez-nous un gros œuvre fermé et nous, on va s’occuper du reste.

Nous nous sommes fait accompagner par un architecte pour nous aider sur tout ce qui était métrés et sur les questions règlementaires. Nous avons engagé un bricoleur de génie qui a encadré les différents corps de métier et 2 ou 3 membres de notre personnel. Cette personne a coordonné toutes les activités pour finalement atteindre d’après-nous, 80% de réemploi.

Alexia : Quelle est la nature de ces matériaux de réemploi ? De quel type de matériaux s’agit-il ? Et de quels chantiers ?

Damien : C’est assez simple, tout ce qui est ici dans les bureaux qui n’est pas ventilation, chauffage, et systèmes d’alarme, c’est du réemploi : les sanitaires, les cloisons, l’isolation, le mobilier, une très grosse partie de l’électricité, des luminaires, la cuisine, les douches, le boiler. Il y a beaucoup qui vient de 2 gros chantiers à Bruxelles et une bonne partie du mobilier vient de la SPAQUE à Liège.

Le bureau sur lequel je travaille, c’est une porte qui vient d’un chantier à Woluwe, les sanitaires viennent  d’un démantèlement d’usine de Carsid. Il y a une partie des cloisons et le guichet pour les chauffeurs qui ont été faits avec des coffres d’une agence ING à Bruxelles. Nous avons réalisé une cloison de bureau en verre et nous y avons glissé plein de déchets que nous traitons souvent : des câbles réseau, des goulottes de câbles pour fabriquer de câble électrique etc. La cuisine, elle, a été démontée d’un bâtiment d’une compagnie d’assurance au-dessus de la gare centrale à Bruxelles. Le boiler est neuf et a été récupéré chez son fabricant alors qu’il était prévu d’être détruit.

Pour l’anecdote, nous avons travaillé sur un chantier de démantèlement d’un opérateur industriel à Mons. Ils ont les chutes de métaux traitées qui proviennent de l’Atomium. Donc si nous arrivons à en récupérer un morceau, nous le garderons dans nos locaux !

Alexia : D’ailleurs, parlons de l’esthétique et de cet aspect de valeur ajoutée que peut avoir un matériau de réemploi : est-ce que c’est quelque chose qui vous tenait à cœur pour votre projet ?

Damien : Pas du tout, le réemploi design, c’est très bien que ça existe, ça donne une certaine image, ça valorise un peu l’image du réemploi mais nous, ce n’était pas du tout notre volonté, c’était plutôt de capter un maximum de matériaux et de les remettre en œuvre de manière propre et jolie sans partir dans des coûts ni partir dans le cliché « brocante » ou meuble en palette.

Alexia : Ce projet était donc motivé par l’aspect « vitrine » que l’entreprise peut utiliser pour promouvoir le réemploi autour d’elle. Est-ce que ça a déjà suscité des ambitions et de l’intérêt auprès de visiteurs ?

Damien : Alors c’est clair que l’effet « vitrine » a été éclipsé par le confinement. Nous avons reçu quelques visites de clients, fournisseurs ou autre, qui nous ont fait part de leur avis, en général positifs et enjoués. Les locaux sont bien exécutés, propres et fonctionnels et ça nous permet de valoriser la démarche et de montrer que c’est faisable.

                    

Autre frein au réemploi

Alexia : En parlant de faisabilité, ce projet n’aurait pas été réalisable sans la collaboration de plusieurs acteurs et la synergie entre leurs différentes compétences. Avez-vous rencontré des difficultés dans cette collaboration ? rassembler toutes les parties prenantes autour du réemploi, par exemple ?

Damien :  Avec mon associé, nous y avons travaillé et ça a relativement bien fonctionné. Avec les corps de métier avec lesquels nous avons travaillé, ça a été plutôt mitigé. D’une part, l’électricien a répondu positivement et ouvertement à notre philosophie du réemploi. Il a accepté de prendre un peu plus de temps pour s’adapter au travail avec des matériaux de réemploi. Le plombier chauffagiste, en revanche, lui émettait plutôt des réticences. Il n’était pas très collaboratif et ça a été un dialogue de sourd pendant quelques semaines pour le convaincre de finalement travailler avec ces matériaux.

Alexia : Auriez-vous des conseils pour ouvrir le dialogue et améliorer cette collaboration ?

Damien : A nouveau, ça dépend de l’interlocuteur. Il y en a qui acceptent de réfléchir et qui ont les compétences. Il y en a qui ont été formés avec une marque et il ont l’outillage pour cette marque-là et selon eux c’est perdre du temps de travailler avec des éléments qu’ils ne connaissent pas.

Un conseil, il faut peut-être travailler autrement sur la remise de prix. C’est une discussion qu’on a eu avec l’électricien : dans son devis, il doit placer 50 prises et une prise placée c’est 3 € ou 4 €, »fourniture et pose ». Nous, dans ce cas-ci, nous fournissons la prise et donc l’entrepreneur ou l’entreprise, elle, doit être capable de se remettre en question sur la manière de remettre prix. Donc nous avons été assez ouverts, au lieu de faire un forfait à la pièce, il nous a facturé en régie. Mais c’est à double tranchant, nous avons pris le risque mais nous lui faisions confiance et il a accepté.

Alexia : Et donc économiquement parlant, vous vous êtes retrouvé dans ce projet ?

Damien : Alors ça c’est un des points sur lequel on aimerait bien pouvoir aller plus loin. Mais si nous le chiffrons nous-mêmes, nous ne sommes pas crédibles. La crise sanitaire du Covid n’a pas simplifié la démarche. Depuis que nous avons emménagé, nous essayons de trouver un bureau d’étude, école ou un autre interlocuteur qui serait capable de chiffrer le bilan économique, environnemental et social de la démarche et de déterminer le pourcentage effectif de réemploi.

 

Nous clôturons cette rencontre sur cet appel à candidature et vous invitons à contacter Damien Verraver si vous pensez pouvoir participer à ce projet !

Contact, Damien VERRAVER : d.verraver@retrival.be

 

Auteur de l’article : Confédération Construction Bruxelles-Capitale