Editeur du mois : Lionel Bousquet de BXLMRS

Comment le digital peut-il accélérer le recours au réemploi ?

 

Une digitalisation en marche

Plongés dans un monde numérique, nous vivons et interagissons actuellement dans une réalité peuplée de diverses représentations digitales de celle-ci. Les avancées technologiques permettent l’émergence d’un nouveau monde virtuel à partir duquel il est possible de piloter le monde physique tel que nous le connaissons. Après la révolution du charbon et de la machine à vapeur, celle du pétrole et celle des nouveaux matériaux (résines, silicones ou céramiques), cette quatrième révolution industrielle impacte tous les secteurs.

Dans le monde de la construction, l’évolution des besoins est de plus en plus étroitement liée aux innovations digitales et cette transformation est souvent incontournable. Et ce, d’autant plus que face à la crise sanitaire engendrée par le Coronavirus en 2020, certaines des entreprises n’ont eu d’autre choix que de se tourner vers cette évolution pour maintenir leurs activités. Ainsi, pour faire face au Covid-19, mais également pour se démarquer de la concurrence, la digitalisation s’impose.

 

Un monde de bases de données

L’effet principal de la numérisation généralisée est la création croissante de données qui doivent être organisées pour pouvoir être utilisées et stockées dans des bases de données. Celles-ci permettent aux datas un certain degré de complexité, d’être soumises à des contraintes de qualité, de résister à des incidents ou à des attaques, d’être partagées par plusieurs usagers ou d’être utilisées dans plusieurs lieux pour des fonctions différentes, elles sont en général stockées. Nous sommes quotidiennement, en tant que simples usagers ou dans nos activités professionnelles, souvent sans en avoir conscience, en relation étroite avec des milliers de bases de données que nous alimentons et consultons. Les données nécessaires aux applications technologiques sont le plus généralement réparties dans plusieurs fichiers en fonction des objets qu’elles décrivent : fichier des clients, fichier des produits, fichier des commandes, fichier des factures, etc. Il existe entre les fichiers des liens qui sont à l’image des relations entre les objets décrits. C’est via ces liens entre les données qu’on indique les commandes qui ont été émises par tel client ou les produits qui sont référencés par telle commande. Par ailleurs, les données nécessaires à une application peuvent être utiles à d’autres applications, voire même à d’autres utilisateurs. Ce sont ces informations qui constituent alors une ressource commune qu’on appelle une base de données.

Gérer de tels éléments est complexe. Garantir leur qualité (retrouve-t-on ce qu’on y a enregistré ?), leur cohérence (le client de chaque commande est-il répertorié ?), les protéger en cas d’incident, permettre à plusieurs utilisateurs d’y accéder simultanément sans conflits, tout en garantissant une confidentialité, offrir de bonnes performances d’accès à toutes les applications, en particulier celles qui sont interactives, sont des fonctions qui exigent des logiciels puissants et complexes, les systèmes de gestion de bases de données, ou SGBD.

Ce type de logiciels constitue l’un des outils fondamentaux de développement des grosses applications technologiques, mais aussi d’applications plus légères ou de sites web. Ils en existent sur toutes les plateformes, depuis les gros ordinateurs (serveurs de grande puissance) jusqu’au PC portables et aux smartphones ou tablettes.

 

Applications urbaine et architecturale

Une autre conséquence de ces évolutions technologiques en architecture et dans le bâtiment est le développement du BIM depuis une trentaine d’années. On parle souvent de maquette numérique ou de base de données, pouvant être exploitée à de multiples fins et à différentes phases du cycle de vie du bâtiment : de sa planification, sa conception, sa construction, son exploitation jusqu’à sa démolition/reconversion.

Sans surprise donc, le monde de la construction et ses différents acteurs sont traversé par ces transformations et y participent activement. Que ce soit EMBUILD avec l’organisation du salon annuel Digital Construction ou BUILDWISE avec le cluster Digital Construction qui comprend par exemple la cellule C-Tech ou bien encore le projet européen FCRBE (Facilitating the Circulation of Reclaimed Building Elements). Un exemple récent de cette dynamique est l’organisation début décembre 2022 (dans les locaux d’Embuild) d’un Hackathon sur le thème « Digital Renovation. »

À partir de ces constats et face aux enjeux posés par RÉNOLUTION qui, pour résumer très brièvement, prévoit de rénover énergétiquement 200 000 bâtiments (soit 600 000 logements) bruxellois d’ici 2050, il convient d’adopter une stratégie à la hauteur de cette ambition. Il paraît donc plus que pertinent d’intégrer dans une politique de construction à l’échelle d’une région comme Bruxelles-Capitale une connaissance et une gestion des éléments de construction de réemploi disponibles.

Avec la modélisation précise d’un bâtiment existant, on peut obtenir une décomposition exhaustive quantifiée par matériau. Un outil extrêmement performant au service de l’économie circulaire. Au « rien ne se perd, rien ne se créé » de Lavoisier, il faut dorénavant cultiver l’art de l’inventaire et du catalogue de matériaux, avec comme objectif principal de répondre à l’équation : « comment je le démonte, qu’est-ce que j’en fais et où puis-je le stocker ?». On s’aperçoit ainsi que les bâtiments existants doivent dès lors être envisagés systématiquement comme des « banques de matériaux » qu’il va falloir explorer, gérer et administrer. Cette démarche s’avère d’autant plus capitale que le chantier global et immense de cette rénovation énergétique régionale sera une source importante d’économies d’énergie, de matières et de réduction de production de CO2.

 

Inventorier pour réemployer

Une description précise du parc bâti permet de constituer une base de données des volumes et poids de matériaux que contiennent les bâtiments ainsi que de cibler les potentialités de réemploi. La modélisation BIM des bâtiments peut permettre d’atteindre cet objectif. Il s’agit de trouver un moyen terme pour obtenir rapidement et efficacement un niveau d’information suffisant pour produire de façon industrielle des inventaires de matériaux fiables. Cette modélisation constituera en outre un point de départ à la réflexion du particulier et de son maître d’œuvre pour les choix de rénovation.

 

Exemple : photo existante du bâtiment CCN, gare du nord – Bruxelles
© BXLMRS pour CCN Développement

 

Bâtiment CCN : modélisation BIM de l’existant
© BXLMRS pour CCN Développement

 

Bâtiment CCN : exemple d’extraction de quantités à partir du modèle BIM.
© BXLMRS pour CCN Développement

 

Cependant, il n’est pas envisageable de mettre en œuvre rapidement une modélisation généralisée de ce type pour tous les bâtiments existants de la région de Bruxelles. Par ailleurs, ce sont là des outils complexes qui requièrent une expertise et un investissement qui ne sont pas accessibles à tous les concepteurs.

En revanche, il est envisageable de travailler avec des cas-types. Une analyse des typologies du parc bâti permettra d’ailleurs d’identifier des bâtiments représentatifs de l’ensemble, que ce soit par la période ou par les modes constructifs, par exemple :

  • Bâtiment ancien de grande taille
  • Bâtiment ancien de petite taille
  • Bâtiment des années 60/70
  • Bâtiment construit après 1990
  • Bâtiment construit après 2011 (PEB)

Dans une même catégorie, on pourra ensuite affiner cette analyse en étudiant plusieurs cas-types et ainsi définir quelques dizaines de situations sur lesquelles on pourra appliquer des scénarios de rénovations interprétés au cas par cas en fonction de la typologie de chaque bâtiment. En alimentant ces scénarios avec par exemple, la base de prix UPA-BUA, on pourra obtenir une estimation assez proche de la réalité des travaux à réaliser. C’est donc la combinaison de la typologie d’un bâtiment et de sa catégorisation qui pourra permettre un niveau élevé d’informations permettant de simuler une rénovation en ligne avec les critères de RENOLUTION. Cette approche n’est bien entendu pas équivalente à un devis d’entreprise et à une étude énergétique détaillée, mais l’enjeu et la complexité du projet sont bien là : obtenir, synthétiser, restituer des informations correctes sur un bâtiment afin de simuler rapidement et de façon efficiente sa transformation selon certains critères pour choisir les travaux les plus pertinents.

Le réemploi est une des pièces du puzzle RENOLUTION qu’il s’agit de résoudre d’ici 2050. Avant et pendant ce grand chantier, il y a celui de la « connaissance du bâti » à mener. L’utilisation du digital sera utile pour cela mais ne se résume pas au BIM. Citons également (liste non-exhaustive) : Scan 3D, Photogrammétrie par drone, Passeport matériaux, IoT, Impression3 D, Réalité virtuelle. Enfin, gardons bien la tête froide face à cet arsenal technologique : il s’agit bien avant tout d’outils, qui doivent nous permettre de transformer la réalité construite selon les objectifs souhaités à long terme et non d’une fuite en avant techno-solutionniste.

 

Edito rédigé par :  BXLMRS – Lionel Bousquet
Janvier 2023