Projet les Etangs Noirs, à Molenbeek

Le réemploi comme stratégie d’une architecture environnementale et solidaire : c’est possible ?

Coût élevé de l’immobilier à Bruxelles, bâti vieillissant, coût conséquent de la construction, inflation des prix des matériaux, il devient difficile pour une majorité de personnes non seulement d’acheter mais aussi de rénover et mettre aux normes leur logement.

En plus d’une démarche environnementale répondant à la pénurie des ressources et la réduction des déchets, le réemploi pourrait aussi devenir une stratégie solidaire permettant de descendre les coûts de la construction pour la rendre accessible à un très grand nombre. Cela à condition de changer d’optique, d’avoir des leviers effectifs et de faire autrement.

Un cas concret

C’est ce que nous avons expérimenté à Etangs Noirs pour la réhabilitation d’une maison unifamiliale en un habitat groupé particulier : une copropriété communautaire (un statut inédit mais ça c’est un autre enjeu !).

Nous c’est : Lemnisca Architecture, les propriétaires du lieu et CCAutrement.

Nous avons posé dès le départ des axes clairs de conception et de travail :

  • Maintenir au maximum l’existant, valoriser les ressources du bâtiment, tirer profit des réparations comme esthétique dans l’esprit du kintsugi japonais : la beauté des choses imparfaites.
  • ne pas rechercher dans nos interventions le spectaculaire ni la démonstration architecturale : privilégier l’économie du geste et la simplicité en intervenant par réseau de petites touches ingénieuses maximisant la qualité spatiale.
  • réutiliser le plus possible ce que l’on a démonté (soit tel quel soit en le détournant) : portes, bois de structure, partie de plancher, carrelages, manteau de cheminée, brique, sable, lavabo, wc, radiateurs, pierres bleues, tommettes … inventoriés et stockés sur place.
  • récupérer via les sites de 2e main de « particulier à particulier » des compléments de matériaux ou d’équipements
  • intégrer ou détourner du mobilier de réemploi plutôt que de concevoir du mobilier sur-mesure
  • choisir des isolations recyclées et de préférence des matériaux naturels.
  • intégrer les propriétaires au chantier pour la partie réemploi : démontage, recherche des matériaux, transport, nettoyage, ponçage, réparation… et travailler en coopération étroite tous ensemble, dans la confiance, par un partage de savoirs, d’idées, de compétences, d’outils.
Virginie SCHÖEFF | Lemnisca Architecture
Virginie SCHÖEFF | Lemnisca Architecture

 

Le triangle vertueux

La grande disponibilité sur le chantier des propriétaires, l’ouverture de l’entrepreneur à expérimenter d’autres pratiques et ses valeurs humaines ainsi que l’engagement et la très bonne coordination de l’architecte ont été les 3 piliers porteurs de ce projet. Cette structure triangulée a non seulement permis au réemploi de remplir ses objectifs environnementaux et solidaires, elle a aussi été une expérience riche et conviviale.

 

La nécessité de développer des leviers

Toutefois, tous les maitres-d’ouvrage ne peuvent donner leur temps, ni leur énergie au chantier. Ce type de pratique est donc difficilement généralisable.

Ce projet n’en est pas moins pertinent car en révélant les freins au réemploi, il met en avant la nécessité de disposer de leviers.

En effet, malgré un début d’initiatives, les leviers font en effet encore défaut à Bruxelles. Les coûts du démontage soigné et la mise en œuvre de matériaux de réemploi ne sont pas concurrentiels face à ceux de la démolition et au neuf « bas de gamme ». Le réemploi est chronophage et même si les coûts sont honorablement transférés dans le travail humain, cela reste des coûts qui pèsent. Les compétences font également défaut ce qui créé une certaine frilosité et participe à surenchérir sur la main d’œuvre. La formation au réemploi et la généralisation de primes est une solution temporaire pertinente en attendant la généralisation de nouveaux systèmes constructifs à la fois réversibles et abordables pour faciliter le réemploi futur.  Quant à la mise à disposition de matériaux bruts de seconde main via des plateformes et des dépôts à Bruxelles, elle est quasi inexistante. Reste aussi la question des normes qui devraient encore se coordonner au réemploi. Pour lever l’ensemble de ces freins, entrepreneurs, architectes, Pouvoirs Publics ont conjointement un rôle à jouer, une opportunité à saisir.

 

En quelques mots

Le réemploi est incontournable, il ne peut rester un secteur de niches expérimentales. De tels leviers sont vraiment urgents et nécessaires pour le rendre attractif et lui donner toute sa valeur sociétale.

Malgré les obstacles rencontrés, nous osons croire au réemploi comme stratégie d’une architecture environnementale et solidaire : une stratégie de durabilité et de soin.

 

Auteur de l’article : Virginie Schoëff pour Lemnisca Architectures et Recherches