Editrice du mois : Acruma et la terre crue

Terre crue : le matériau de remploi par excellence.


Une approche renouvelée

Le réemploi est depuis toujours une pratique du bon sens. Elle se définit comme la récupération d’objets avant qu’ils ne deviennent des déchets, et elle vise à offrir une seconde vie aux matériaux. Plus spécifiquement, le réemploi des matériaux de construction consiste à réutiliser des éléments issus de déconstructions pour des usages identiques ou similaires à ceux pour lesquels ils ont été initialement conçus. Malgré la prédominance de l’industrie du bâtiment axée sur des matériaux neufs et standardisés, le réemploi connaît aujourd’hui, un regain d’intérêt, notamment en Belgique et à Bruxelles.
Dans l’Antiquité, les Romains, les Grecs et les Égyptiens récupéraient avec minutie métaux et pierres d’anciennes constructions, intégrant ces matériaux dans de nouveaux édifices. Cette tradition a persisté au Moyen Âge et plus tard. Jusqu’à la fin du 18ème siècle, lors de transformations ou déconstructions, des annonces de ventes publiques étaient diffusées, offrant une seconde application aux matériaux dans des projets de construction à proximité; un témoignage de la pérennité de la réutilisation à travers les époques.

Cette pratique ancienne gagne aujourd’hui de popularité dans un secteur du bâtiment en quête de solution pour répondre aux défis environnementaux et s’aligner sur les principes de l’architecture écologique et de l’économie circulaire.

Terre crue comme nouvelle vision

Lorsque l’on aborde le réemploi, le bois, marbres, pierres et métaux viennent naturellement à l’esprit. Cependant, un matériau historiquement lié à cette pratique de manière intrinsèque est souvent négligée : la terre crue.

Il y a plusieurs manières de comprendre la terre crue :

D’abord, elle est une ressource locale, enracinée dans un territoire. Ensuite, elle est un matériau qui a inspiré et façonné d’innombrables techniques de construction. En tant qu’élément, elle incarne une qualité unique, celle de la matérialité d’un élément brut.

Finalement elle représente une perspective différente, nous incitant à percevoir ce qui se trouve sous nos pieds comme une véritable richesse dans le respect de l’environnement, du monde humain et non humain.

 

Entre déchet et ressource

Cependant, dans le monde contemporain de la construction, la terre, sous-estimée et sous-utilisée, est fréquemment considérée comme un résidu dès sa sortie des chantiers d’excavation. Rapidement évacuée, elle est immédiatement dévalorisée, passant d’une ressource naturelle abondante au statut de déchet.

Une grande partie finit donc en décharge, sans être exploitée. Ce constat souligne un grand défi dans la gestion des déchets de construction. Cette situation met en lumière une vision capitaliste de l’exploitation des ressources, où la terre, malgré ses qualités, se retrouve subordonnée à un système qui sous-évalue ses potentialités.
Sa valorisation locale se présente comme une alternative prometteuse, permettant d’échapper à cette logique dévalorisante et d’apprécier ses propriétés au contraire comme une ressource durable et précieuse capable d’une utilisation quasi infinie.

Qualités uniques de la terre crue

Les qualités de la terre crue sont plurielles, offrant de nombreuses raisons de l’adopter dans nos espaces de vie.

La première raison réside dans la qualité et le confort qu’elle procure dans un espace. Grâce à son inertie thermique et à sa capacité d’absorption de l’humidité, elle prend le titre de matériau thermo-hygro régulateur. L’inertie thermique permet notamment de modérer les variations de température entre le jour et la nuit, offrant un environnement intérieur agréable tout au long de l’année. Elle a aussi de très bonne propriétés d’isolation acoustique.

La deuxième raison est associée à ses propriétés écologiques. Comme déjà évoqué auparavant, en tant que ressource locale, elle présente l’avantage d’une faible consommation d’énergie tout au long de son processus de transformation. Son cycle de vie est exemplaire de l’extraction à son utilisation. À la fin, la terre retourne simplement à la terre, complétant ainsi son parcours circulaire.

La troisième motivation découle de ses caractéristiques esthétiques et bénéfiques pour la santé. Au-delà de ses propriétés fonctionnelles, la terre crue a une esthétique unique, avec une grande variété de couleurs et de textures. Des atmosphères accueillantes et agréables créent ainsi une expérience sensorielle indescriptible. Aussi c’est un matériau non irritant, non polluant et au contraire sain et respirant. Elle bénéficie à la fois à la structure du bâtiment et à la sécurité lors de sa mise en œuvre et pour l’usage de l’espace.


Historiquement, un matériau en transformation

Construire en terre crue représente une pratique ancienne et durable. Que ce soit sous forme de briques non cuites, de pisé, ou d’autres techniques, elle a été au cœur de nombreuses constructions. Aujourd’hui, près de la moitié de la population mondiale habite dans des habitats en terre crue, et des exemples uniques d’architecture en terre perdurent à travers le monde.

Cependant, son utilisation ancestrale, bien que présente dans de nombreux contextes, la relègue souvent au second plan. Pourquoi cette sous-estimation et ce préjugé de non-durabilité ?

Cela s’explique précisément par ses propriétés réversibles. Elle est peu présente dans les domaines de l’archéologie et de l’histoire de l’architecture en raison de sa facilité de transformation. Grâce à sa nature réversible, elle facilite une déconstruction aisée en vue d’une réutilisation dans d’autres constructions, ce qui en fait un matériau de réemploi par excellence.

Cette facilité de transformation peut toutefois masquer sa durabilité et sa résistance. Des bâtiments en terre crue existent depuis des millénaires, témoignant de leur capacité à résister au temps et aux éléments grâce à une conception initiale soignée et à un entretien attentif. Ainsi, la phase de construction n’est qu’une partie du processus – les étapes de conception, de maintenance et de réversibilité sont également cruciales pour garantir la durabilité d’un habitat en terre crue aujourd’hui.

 

Conclusion

Pour conclure, cette terre crue émerge comme une solution moderne aux défis environnementaux, redonnant vie à une ressource traditionnelle. Son utilisation s’inscrit dans une logique d’économie circulaire, valorisant la réversibilité, la réutilisation et la durabilité.

Malgré ses caractéristiques singulières, souvent négligées, elle mérite d’être réévaluée comme une ressource précieuse et durable. Il est temps de changer la vision de la terre crue, non comme un déchet, mais comme une ressource unique, invitant chacun et chacune à expérimenter son potentiel et à opter pour un retour à la terre.

 

Rédigé par Arianna Fabrizi de’ Biani, fondatrice d’Acruma, entreprise de mise en œuvre d’enduits à base d’argile et de chaux.

 

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